Quel est l’impact de l’impression 3D sur les achats mondiaux?
Le succès d'une entreprise aujourd'hui dépend notamment de sa capacité à mettre le bon produit sur le marché au bon moment et au bon prix. L’évolution constante des marchés, comme avec la fabrication d’additifs par exemple, ouvre de nouveau potentiel de développement pour les entreprises, modifie la production industrielle et redéfinis ainsi les règles du jeu, voire l'ensemble des conditions d’achats et d’'approvisionnement (structures, processus et pratiques de management).
Aucune entreprise, les fabricants internationaux de chaussures compris, ne peut ignorer ces évolutions, et Nike, le leader mondial du marché basé à Portland, dans l'Oregon, n’est pas une exception. L'entreprise a mis sur le marché le premier frontal textile imprimé 3D "Flyprint". Pour cela, Nike s'appuie sur des filaments TPU, qui sont produits en plusieurs couches. TPU est l'acronyme de polyuréthane thermoplastique, qui est une sorte de plastique. Les chaussures conçues à partir de celui-ci sont respirantes, offrent moins de résistance à la friction et sont hydrofuges. Concrètement, , la production du matériel fonctionne comme avec n'importe quelle imprimante 3D. Un fil TPU est déroulé d'une bobine, fondu et déposé l'un sur l'autre en plusieurs couches. Comme le plastique est souple, les raccords sont immédiatement maintenus.
Influence sur la stratégie d'achat globale
Les études et les articles professionnels se concentrent généralement sur les avantages et les inconvénients techniques de l'impression 3D. Cependant, l'influence de cette méthode de production sur la stratégie globale d'achat est rarement considérée. Dans une perspective en quatre étapes, j’explique comment la relation entre Nike et ses fournisseurs va changer, comment la distribution globale du pouvoir va évoluer, et comment la chaîne logistique va ainsi se transformer.
Level 1 - Fabrication traditionnelle
La production traditionnelle de chaussure de sport telle qu’on la connait aujourd’hui est essentiellement manuelle dans des pays avec une main d’œuvre peu couteuse et entraîne des bénéfices importants pour Nike. Parallèlement, le risque d'approvisionnement reste faible car Nike travaille avec plusieurs fabricants indépendants qui possède également de nombreux fournisseurs. Si un fabricant n’assure pas correctement ses livraisons, il n'est pas difficile d’en changer.
Il en résulte une position dominante significative de l'acheteur, que Nike exploite en appliquant un code de conduite pour tous ses sous-traitants et leurs fournisseurs respectifs. Néanmoins, Nike s'appuie également sur des partenariats stratégiques qui contribuent à améliorer les processus de production des fournisseurs. En revanche,, la customisation des chaussures n'est pas possible, ce qui devient de plus en plus problématique.
Level 2 - Prototypage par impression 3D
Au Level 2, Nike expérimente avec des matériaux et diverses technologies. Comme il n'est pas encore possible de produire en grandes quantités, l'impression 3D est principalement utilisée pour le prototypage, la réduction des temps de développement et l'accélération des temps de mise en marché. Cependant, cela demanderait des efforts considérables à Nike afin de développer toutes les compétences nécessaires à la fabrication d'une imprimante 3D et d’acquérir les matières premières associées. C’est pourquoi il lui est nécessaire d'établir des partenariats solides avec les imprimeurs 3D et les fournisseurs de matières premières. Bien que cette technique ne soit pour l’instant utilisé que pour le prototypage, son potentiel est très important. Cela résulte également en une compétition grandissante afin d’acquérir la propriété intellectuelle de cette innovation Par conséquent, Nike se retrouve maintenant dominé par les fournisseurs et doit donc nouer des relations stratégiques et collaborative avec la R&D des fournisseurs afin d’obtenir un avantage de premier plan sur ses concurrents.
Level 3 – Impression 3D à grande échelle
Contrairement au level 2 où la fabrication traditionnelle était encore décisive pour le succès de l’entreprise, ce n’est plus le cas au level 3. En effet, la technologie 3D permettra désormais d’imprimer facilement des chaussures personnalisées. Il est alors possible de supposer que les innovations entraîneront une baisse des prix des matériaux et des imprimantes et que davantage de fournisseurs arriveront sur le marché. Cependant, il est probable qu’il y ait encore peu d’entreprises qui peuvent fournir des imprimantes 3D avec les exigences appropriées. Par conséquent, un contrat de leasing d’imprimantes dans lequel les fournisseurs sont responsables de la maintenance est susceptible d’entraîner une dépendance vis-à-vis des fournisseurs. D’autre part, alors qu’il était précédemment difficile de prévoir la demande de chaussures, à ce niveau, seules les matières premières nécessaires doivent être prévues. Comme toutes les matières premières peuvent provenir de quelques fournisseurs en grandes quantités, Nike aura une position dominante sur ces fournisseurs.
Level 4 – Le client en tant que microfabricant
Une fois que l’impression 3D devient si accessible que les clients possèdent leur propre imprimante 3D à la maison et que les imprimeurs peuvent imprimer n’importe quel objet imaginable, Nike n'a plus besoin d'installations de production et n'est plus responsable de l'approvisionnement en matières premières et imprimantes. A ce stade, l'achat sera moins important pour Nike, car l’entreprise ne vendra que le fichier numérique de la chaussure qui sert de modèle pour l'impression au client.
Conclusion finale
En fonction de la phase dans laquelle l’entreprise se trouve, différents fournisseurs sont importants. En effet, l'équilibre des pouvoirs peut passer d'une puissance d'achat à une puissance de fournisseur élevée et inversement à un mélange de puissance d'acheteur et de puissance de fournisseur. Cependant, lorsque la technologie se répands à l’ensemble de la population et que les consommateurs possèdent alors leur propre imprimante 3D, l'approvisionnement tel qu'on le connaît aujourd'hui ne sera plus pertinent ni pour Nike ni pour toute autre entreprise.
Michelle Flück
L'auteur est étudiante en Master Management-Business Analytics à HEC Lausanne. L'article est un résumé de l'article scientifique "How 3D printing changes the sourcing activities of an athletic footwear company", écrit en novembre 2018 à la Cophenhagen Business School.