Perspectives pour acheteurs #3: la reprise a commencé
En quoi le coronavirus se distingue-t-il des êtres humains? Les virus s’adaptent, même si cela semble être la conséquence de mutations dues au hasard. Aucune «intelligence» ne guide l’évolution. Par contre, les capacités d’apprentissage et d’adaptation de l’homme s’appuient très clairement sur l’intelligence, un amalgame complexe de rationalité et d’émotions. En situation de danger, elle offre une certaine protection et devrait nous permettre de «triompher» du virus.
Mal préparés au début de la pandémie, nous avons beaucoup appris depuis. Face à un éventuel retour du virus, nous réagirons probablement beaucoup plus souplement. Des mesures drastiques de confinement, nécessaires pour affronter la première vague, pourront sûrement être évitées à l’avenir, atténuant d’autant la violence du contrecoup économique.
En termes de politique économique également, nous avons su tirer la leçon: comparée à la dépression des années 30 ou à la crise financière de 2008/2009, la réaction monétaire et financière a été plus prompte et plus globale.
Même la politique européenne semble savoir comment s’y prendre maintenant pour éviter à l’Euro une nouvelle épreuve de vérité. Malgré les incertitudes, tout cela sonne plutôt optimiste.
Levée du lockdown
La hausse en mai de l’Indice des directeurs d’achats (PMI) pour le secteur des services révèle bien la vitesse à laquelle la situation économique s’est améliorée dès l’assouplissement des restrictions: deux semaines après la seconde étape du déconfinement, le PMI Service avait rattrapé près de la moitié du terrain perdu lors de la chute historique de mars et d’avril.Auparavant, durant le lockdown, la consommation avait fléchi comme jamais: la fermeture des entreprises et le climat d’insécurité générale ont conduit à un recul historique dans les domaines de la gastronomie, des transports, mais aussi de la santé et de larges pans du commerce de détail.
Potentiel d’achats de rattrapage
Mais le recul de la consommation dû au lockdown signifie aussi, inversement, que beaucoup de foyers ont mis de l’argent de côté durant le confinement. La situation financière de la plupart des foyers est donc à fin mai, au moment du déconfinement, sensiblement meilleure que ce que l’effondrement historique de l’économie pouvait laisser craindre. Certes, selon nos calculs, la perte de revenu due au chômage complet ou partiel ou à d’autres restrictions imposées au travail n’est pas totalement compensée par les subventions étatiques ou l’assurance chômage. On peut donc s’attendre à ce que le revenu moyen des ménages diminue d’environ 5%. Mais l’épargne accumulée durant le lockdown compense largement cette perte. Vu l’incertitude régnante, une partie des économies réalisées sera stockée à titre préventif. Mais une grande partie (plus ou moins les deux tiers) pourrait bien être consacrée à des achats de rattrapage.
Lenteur du retour à la normalité
Malgré les premiers signes de reprise, la consommation est encore loin de la normale. Le PMI Service continue de se situer nettement en dessous du seuil de croissance, ce qui indique des chiffres d’affaires toujours à la baisse.
Par ailleurs, il est à craindre que la seconde partie de la reprise soit bien plus lente que la première. D’abord parce que l’offre physique dans les magasins et négoces continue d’être limitée par des mesures de protection qui occupent de l’espace. Ensuite parce que les consommateurs sont déstabilisés: la crainte d’être infecté, conjuguée à celle de perdre son emploi, pèse sur le moral. Et finalement parce que la fermeture des frontières et le manque d’offres de travail ralentissent l’immigration en Suisse – nous tablons sur le chiffre net de 35 000 à 40 000 personnes pour l’année 2020 (contre 53 000 en 2019). Par rapport aux crises précédentes (crise financière, crise de l’Euro, réévaluation du franc), le soutien à la consommation manque donc de vigueur. Globalement, nous misons sur un recul de la consommation privée de plus de 2% en 2020.
Lueurs d’espoir en Asie
Le gros de l’économie d’exportation souffre actuellement de la chute globale de la demande: l’exportation horlogère s’est proprement effondrée et l’industrie des machines, des équipements électriques et des métaux (industrie MEM) affichait en avril des chiffres presque cinq fois inférieurs à ceux du début de l’année.
Seules les exportations de l’industrie pharmaceutique enregistraient un plus. Toutefois, le fond devrait bientôt être atteint par les exportateurs de biens d’équipement. En avril, les exportations MEM vers les pays déjà entrés à l’époque en phase de déconfinement – comme la Chine, Hong-Kong ou le Japon – avaient dans l’ensemble repris. On peut donc légitimement s’attendre à une stabilisation prochaine en Europe.
Par contre, le retard avec lequel la crise a touché les USA laisse craindre que
la demande américaine en biens d’exportation MEM suisses diminue encore dans les mois à venir. Et la situation de l’industrie horlogère, fortement dépendante des états d’âme du consommateur mondial, pourrait rester tendue bien plus longtemps encore.
Alors que dans la plupart des branches d’exportation le pire pourrait bientôt être derrière nous, le chemin vers la normalité risque d’être encore long. Il est à craindre que le commerce global souffre encore longtemps d’une demande au ralenti – surtout en ce qui concerne les biens d’équipement – et de capacités de transport limitées. La mobilité intercontinentale, notamment, devrait être encore longtemps entravée. En conséquence, nous estimons que le volume des exportations, malgré les bonnes performances de l’industrie pharmaceutique en 2020, diminuera de plus de 6% par rapport à l’année précédente.
Investissements en équipements
Durant le lockdown, tous les investissements non vitaux ont été interrompus. Mais, avec le déconfinement, une reprise devrait se faire sentir. Après tout, la perspective d’un nouveau lockdown s’éloigne désormais et l’on retrouve une certaine sécurité de planification. C’est ce que semble indiquer la structure fondamentale du PMI Industrie en mai, au lendemain des premières mesures de déconfi-
nement. Tout au moins en ce qui concerne les investissements en biens d’équipement.
Une reprise en forme de V penché
L’économie suisse a affiché des signes de reprise dès les premières mesures de déconfinement. Mais, une fois l’embellie passée, la suite du chemin risque d’être beaucoup plus longue. En cours d’année, le PIB pourrait bien prendre la forme d’un V à angle penché.
Claude Maurer
L’ancien sportif professionnel (il a représenté la Suisse en 49er skiff aux Jeux olympiques de Sydney) dirige au Credit Suisse une équipe d’économistes chargée d’analyser et de prédire la conjoncture et la politique monétaire suisses.