Ours ou taureau: Marc Faber et la conjoncture
Monsieur Faber, la théorie veut que les marchés boursiers reflètent la conjoncture, voire la prédisent. La réalité est un peu différente depuis dix ans. Quelle est l’influence de la conjoncture sur les Bourses?
La pression monétaire et la baisse des taux d’intérêt ont dopé les bénéfices des entreprises. Mais quand certaines d’entre elles annoncent de mauvais résultats, leurs actions ont plutôt tendance à chuter d’ordinaire. Si l’économie mondiale devait sérieusement ralentir (récession), les actions pourraient s’en ressentir. Pour prolonger le cycle conjoncturel, on continue d’agir artificiellement sur les cours.
Aussi longtemps que les banques centrales injecteront des liquidités pour maintenir les cours boursiers, on ne peut pas parler de «doom», n’est-ce pas? Comment jugez-vous la politique monétaire actuelle?
La politique actuelle d’expansion et de taux négatifs est suicidaire et finira très mal. Si l’on regarde attentivement le Japon et l’Europe, on constate que les taux d’intérêt négatifs ont nui à leur économie et faussé les prix sur le marché libre. Cela peut durer, les cours des obligations et des actions peuvent continuer d’être stimulés artificiellement. Le plus grand danger pour le marché, et plus encore pour l’ensemble du système financier, c’est qu’il y a beaucoup trop d’argent pas cher en circulation. La planche à billets tourne à plein régime. Les taux sont beaucoup trop bas et il est probable qu’ils le restent.
Quelle influence le Brexit aura-t-il sur la conjoncture, et plus spécialement sur les entreprises suisses?
La sortie de la Grande-Bretagne de l’UE n’est pas une catastrophe. Au contraire. Selon moi, le pays a de bien meilleures chances de croissance hors de l’UE. Si la Suisse peut opérer en dehors de l’UE, alors qu’elle fait, pour ainsi dire, partie d’un marché intérieur, cela est certainement possible pour la Grande-Bretagne. Quoi qu’il en soit, le Brexit envoie un message clair aux élites politiques malades qui depuis trop longtemps ne se préoccupent que de savoir si les actions montent ou baissent sans se soucier des intérêts du Britannique moyen.
A quoi doit s’attendre l’économie locale, et donc aussi «l’achat», en cas d’effondrement conjoncturel de l’économie chinoise?
Tous les pays émergents ont connu, ces vingt ou trente dernières années, une énorme croissance, bien plus rapide que les économies de nos pays. Considérée à l’échelle mondiale, la prospérité a dramatiquement régressé en «Occident» et énormément augmenté dans les pays émergents, mais aussi dans d’autres pays. Je crois que c’était à la fin de l’été, il y a quatre ans, que l’économie chinoise s’est mise temporairement à réellement déraper. A l’époque, cela a presque déclenché une panique mondiale sur les marchés boursiers. Pourquoi en est-il ainsi? Quiconque est au courant des conditions politiques et économiques sait que la Chine consomme environ 50% de tous les biens industriels du monde. Si son industrie manufacturière entre en récession, il est bien évident que le monde entier le ressentira.
«Never waste a crisis.» On prête ce mot à l’ancien chef de cabinet de la Maison Blanche, Rahm Emanuel. Quelle aubaine offre cette crise?
Rahm Emanuel n’a pas tort. Une crise est d’ordinaire un processus dans l’évolution économique, qui permet une purge du «système». Mais c’est justement ce nettoyage qui n’a pas fonctionné parce que les gouvernements, à chaque fois, sont massivement intervenus sur l’économie. Une grande opportunité a ainsi été manquée. Concrètement, tout continue exactement comme avant – avec les mêmes dirigeants économiques et politiques. Les dérives sont même souvent plus grandes que par le passé et le désir de se lancer dans des spéculations hasardeuses encore plus prononcé.
Quel impact sur la conjoncture des «gamechangers» comme l’intelligence artificielle, l’automatisation ou les blockchains ont-ils?
Pour moi, il ne fait aucun doute que les cryptomonnaies, par exemple, feront émerger une nouvelle technologie. L’avenir appartient à l’argent numérique. Il existe déjà environ 2000 différentes cryptomonnaies. Laquelle deviendra l’étalon-or, personne ne peut le dire à l’heure actuelle. J’ai moi-même déjà investi dans Bitcoin. Mais c’était surtout pour apprendre.
Quelle importance les «fameux» marchés d’approvisionnement d’Europe centrale, d’Europe de l’Est ou d’Asie auront-ils à l’avenir?
Actuellement, la Russie et la Chine sont idéalement positionnées sur le marché. Les uns – les Russes – fournissent les matières premières, les autres – les Chinois – des biens de consommation bon marché. Pour les Européens, il semble impossible de regarder le monde avec les mêmes yeux qu’un Chinois ou un Russe. Car la Chine et la Russie voient le monde dans une toute autre perspective, à partir d’un arrière-plan historique complètement différent. En Occident, Kim Jong-un est méprisé et passe pour un fou. Mais il ne fait que défendre ses propres intérêts, comme tous les autres maîtres du monde. Y compris les Américains.
Marc Faber
Marc Faber (72 ans) appartient aux sceptiques de sa corporation. Il pense anticyclique. Et joue volontiers à l’apôtre de l’Apocalypse. Docteur en histoire économique de l’Université de Zurich, il émigre en 1973 à Hong-Kong. De 1978 à 1990, il est Managing Director chez Drexel Burnham Lambert, à l’époque l’une des plus grandes banques d’investissement du monde. En 1990, il fonde sa propre société d’investissement, Marc Faber Ltd. La société basée à Hong-Kong se spécialise dans la gestion de fonds et l’administration de biens. Marc Faber a prédit plusieurs crashs dont le lundi noir de 1987, la crise asiatique et l’éclatement de la bulle technologique en 2000. Depuis, on l’appelle «Dr. Doom».