Opinion: Un fou et un sage

Opinion: Un fou et un sage

Aymeric Duprez

La fonction achats a beau se professionnaliser, son émergence et sa structuration restent réservées aux entreprises d’une certaine taille.

Comme le fou de la fable, les PME s’enivrent souvent de leurs premiers succès en négociation commerciale et de ‹partenariats› fournisseurs un peu trop confortables, sans mettre en doute leur capacité à réitérer l’exploit à l’échelle supérieure. A quoi bon s’encom­brer d’acheteurs?

Dès les premiers pas de l’entreprise, toute l’attention se porte sur l’approvisionnement. Gérer les flux est immédiatement une priorité opérationnelle, incontour­nable. C’est ainsi que les logisticiens montent en puissance et mûrissent avec elle. Mais rares sont les acheteurs profes­sionnels dans les PME. La fonction n’émerge qu’au-delà d’une bonne centaine de collaborateurs. Un symptôme du passage à l’âge adulte en quelque sorte.

Ce passage est un bouleversement de taille. Plus le temps passe, plus la marche est haute à franchir: la sophistication des achats va bon train. Processus, outils et formalisation demandent un investissement considérable: des moyens matériels, mais surtout des compétences humaines nouvelles. Et qui dit nouveauté, dit résistance au changement!

Au-delà du choc culturel interne, ce saut qualitatif est surtout un tournant dans la relation de l’entreprise avec ses fournisseurs. Il s’agit de passer de relations personnelles, multiformes et intenses à un pilo­tage rationnel et systématique de ce lien à la fois commercial et opérationnel.

Le risque est grand de déshumaniser la relation, et de perdre le ‹goodwill›, cette bienveillance à la limite entre bon vouloir et amitié. Mais nous savons bien que la fidélité aveugle a un prix … Comment alors conserver le précieux dévouement du fournisseur tout en arrêtant de payer ces ‹prix d’ami›? Difficile d’être à la fois le sage et le fou!

Mener cette séparation des rôles est un art délicat, réservé aux meilleurs acheteurs: assumer une sévère austérité afin de laisser aux opérationnels l’enthou­siasme et l’audace de l’action. Un défi magnifique!