Les acheteurs romands peu doués pour l’anglais

Les acheteurs romands peu doués pour l’anglais

Francesca Sacco

Carrying costs, cross docking, fork-lift-truck: le jargon des achats n’est pas toujours très limpide pour les Suisses romands. Le spécialiste de séjours linguistiques Boa Lingua a donc lancé des cours spécifiques pour les professionnels du secteur. Les Romands en sont friands. Enquête.

Des connaissances basiques dans une langue étrangère sont insuffisantes pour évoluer à l’aise dans le monde des achats. En effet, la communication au travail s'écarte considérablement du niveau de compétences standard, d’autant que les différences culturelles rendent la compréhension profonde encore plus importante.

«Une étude de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich indique que la Suisse est l’un des pays les plus mondialisés du monde. Dans le secteur des achats et de l’approvisionnement, en particulier, un haut niveau de compétence en langues étrangères, et plus précisément en anglais, est une qualification supplémentaire essentielle pour la réussite professionnelle», souligne Max Wey, directeur de la division Business Class chez Boa Lingua, une entreprise zougoise présente en Suisse romande depuis 2008 et qui organise des formations linguistiques à l'étranger pour les professionnels d’une dizaine de secteurs différents, dont celui des achats.

Potentiels dégâts collatéraux

Dans le monde de l’entreprise, une mauvaise maîtrise de la langue commune de communication des interlocuteurs peut avoir de graves conséquences, poursuit Max Wey. Ainsi, les erreurs de traduction sont susceptibles d’entraîner une mauvaise compréhension des consignes, avec des résultats désastreux.
Les malentendus peuvent entraîner de fâcheuses conséquences et sont notamment susceptibles de nuire au respect des délais et de compromettre les chances de réussite d’une négociation. «Un manque de compétences linguistiques de la part des employés risque de coûter cher à une entreprise», assure Max Wey.

Joindre l’utile à l’agréable

Mais comment bien apprendre l’anglais des affaires ? «La formation à l'étranger est le moyen le plus efficace, car vous n’êtes pas distrait par votre travail quotidien. Significativement, le souhait premier des participants est de ‹parler, parler, parler›. C’est de cela dont ils ont le plus besoin, alors que les RH insistent encore beaucoup trop sur l’obtention d’un certificat. La plupart du temps, ce n’est pas le plus important, ni le plus utile», relève Max Wey. Comme les participants sont délibérément placés en situation réelle, par le biais de jeux de rôle, échanges sur des études de cas, etc., leur niveau de connaissances peut faire un bon considérable en l’espace de trois semaines seulement. «Pour obtenir les mêmes progrès avec un cours de langue typique en Suisse, vous auriez besoin d'une année entière!»

Ces cours se déroulent toujours à l’étranger, plus précisément en Angleterre, à Malte, aux Etats-Unis ou encore en Allemagne. «C’est aussi plus amusant.» Les experts de Boa Lingua effectuent chaque année de nombreux voyages pour tester personnellement les destinations de séjours linguistiques existantes et trouver de nouveaux sites d'enseignement pour ses clients. Chez Boa Lingua, il faut compter par semaine entre 1860 francs à Malte et 3656 francs à Riversdown en Angleterre. Ce montant inclut entre autres les leçons particulières, l’hébergement et les repas. A noter que les membres procure.ch bénéficient d'une réduction de 5%, grâce à un partenariat long de dix ans.

Les cours n’ont pas lieu à un moment donné précis dans l’année, mais sont organisés de manière totalement flexible et sur mesure. Ainsi, ils peuvent commencer n'importe quel lundi et il est même possible de s’inscrire en dernière minute! «Tout est organisé en fonction des besoins de chaque participant, de son entreprise et de ses produits.»  Mais attention, «amusant» ne veut pas dire de tout repos: il s’agit en effet de cours très intensifs, avec 25 à 30 heures hebdomadaires au total. Les participants sont placés dans des situations où il s’agit par exemple de participer activement à une conversation, d’émettre des propositions, de présenter des arguments, de défendre des idées, de négocier des compromis, de répondre à des appels téléphoniques et à des courriers …

Des cours taillés sur mesure

Apprendre l’anglais par la pratique plutôt que dans les livres est particulièrement important pour les professionnels des achats, dont le jargon s’est construit tardivement, avec un grand nombre de néologismes anglais qui ne sont pas couverts par les cours linguistiques standards. Pour Boa Lingua, l’apprentissage d’une langue ressemble à la conquête d’une montagne comme le Cervin. L’étape 1 se rapporte à l’apprentissage des connaissances fondamentales de la langue. Vous pratiquez tous les jours pour améliorer vos compétences et vous débarrasser de votre accent. Les leçons suivent normalement un programme détaillé, incluant l’étude de la grammaire et celle du vocabulaire. L’étape 2 concerne la communication professionnelle. Les cours spécifiques pour les professionnels de votre secteur vous permettent de vous préparer à la «vraie vie» à travers des jeux de rôle, des études de cas, etc. Vous vous exercez à négocier, à présenter des projets et à agir en toute confiance dans une quantité d’autres situations courantes au travail. L’étape 3 aborde les aspects culturels de la langue. Les cours de ce niveau vous permettent de renforcer vos capacités linguistiques en management en tenant compte de la dimension culturelle – on ne peut pas approcher de la même façon un fournisseur chinois ou allemand, par exemple.

«Nous avons décidé de mettre sur pied ces cours lorsque nous avons réalisé que la plupart des entreprises avaient des difficultés avec leurs partenaires étrangers. Or, les achats sont de plus en plus internationaux et les négociations représentent un enjeu capital puisque les prix, les délais, les conditions de paiement, etc., dépendent de leur qualité. Dans la pratique, les Suisses romands ne sont toutefois «probablement pas assez conscients» de l’importance de maîtriser l’anglais, déclare Max Wey, «mais il en va de même pour leurs collègues alémaniques», nuance-t-il aussitôt.

L’allemand aussi utile que l’anglais

Bien que l’anglais soit devenu incontournable dans le monde des affaires, il ne faudrait pas minimiser l’importance de l’allemand, surtout dans un pays comme la Suisse. Ainsi, même dans les entreprises qui ont généralisé l’usage de l’anglais, on parle encore et toujours les langues du cru, à savoir (par ordre d’importance) le suisse allemand, l’allemand, le français et l’italien.

Un exemple emblématique est le siège de Novartis à Bâle, où l’on utilise quotidiennement l’allemand et le suisse allemand malgré la suprématie de l’anglais dans la communication extérieure. Pour le professeur François Grin, directeur de l’Observatoire Economie-Langues-Formation (ELF) de l’Université de Genève, l’universalité présupposée de l’anglais serait un «mythe», voire un «fantasme». En fait, l’anglais n’arrive qu’en quatrième position dans la liste des idiomes les plus utilisés dans les entreprises suisses, après l’allemand, le suisse allemand et le français. Malgré cela, les Suisses romands qui souhaitent se former ou parfaire leurs connaissances dans une autre langue déclarent qu’ils choisiraient en premier lieu l’anglais. «C'est un peu triste de voir que beaucoup de Romands pensent qu'ils devraient communiquer en anglais plutôt qu'en français ou en allemand», regrette Max Wey.

D’une manière générale, la Suisse est un pays de travailleurs polyglottes. Une analyse publiée en avril 2018 par l’Office fédéral de la statistique (OFS) l’a encore démontré. Réalisée sur la base d’une enquête nationale, elle révèle que le quart de la population active pratique quotidiennement plus d’une langue dans l’exercice de son métier. Pour 13% d’entre eux, le nombre de langues régulièrement utilisées est supérieur à trois. Si l’on inclut les travailleurs pour qui l’emploi d’une autre langue est une nécessité épisodique, le taux de polyglottisme grimpe à 49 – 50%. Mais difficile de déterminer si ce joli score permet à la Suisse de se démarquer de ses voisins, et dans quelle mesure. Pour cela, il faudrait disposer d’une comparaison internationale. Or, il semble que la Suisse soit le seul pays à avoir fait une étude aussi précise sur l’utilisation des langues au travail. En effet, «il n’y a pas d’équivalent étranger à notre connaissance», déclare-t-on à l’OFS.»

L’allemand source de «frustration»

Pourquoi tant de Suisses romands sont-ils en froid avec l’allemand? La réponse à cette question pourrait se trouver dans les travaux du philosophe Heinz Wismann, auteur du livre Penser entre les langues (Albin Michel, 2012). L’auteur estime que la place du verbe dans la langue allemande – en principe, toujours en fin de phrase – est une potentielle source de frustration pour la personne qui écoute, puisque cela l’oblige à attendre que le locuteur ait fini de parler pour pouvoir s’exprimer à son tour.

Cet effet a bien été décrit par Madame de Staël dans son ouvrage De l’Allemagne, publié en 1813. En allemand, ce dont on parle est évoqué après ce qu’on en dit, explique Heinz Wismann. En outre, la langue de Goethe est très précise et descriptive (exemple typique: le mot gant, qui se dit Handschuh, c’est-à-dire «soulier à main»). La langue française, par contre, est largement allusive, c’est-à-dire qu’elle comporte une impressionnante quantité de mots dotés de diverses acceptions. Cela permet de «dire les choses sans les dire», de sorte qu’il est plus facile de se dérober quand la conversation prend un mauvais tour. La personne qui écoute doit donc «être capable de saisir ce que l’autre veut dire derrière le paravent de nombreuses allusions qui se superposent, et qui font la finesse de la langue.»

Francesca Sacco

Francesca Sacco

Typographe de premier métier, Francesca Sacco a commencé à travailler comme pigiste à l’âge de 16 ans et collabore depuis 1992 à une dizaine de titres, en Suisse et en France. Elle s’est spécialisée dans l’investigation et la vulgarisation scientifique après sa formation à l’ATS à Berne.

Petit lexique du supply management

Quel est le degré de votre maîtrise de l’anglais des achats? Voici une sélection de termes usuels pour vous tester vous-même.

  • Carrying costs: ensemble des coûts liés au maintien d’un article en stock
  • Cross docking: action de faire passer des marchandises des quais d'arrivée aux quais de départs sans passer par le stock
  • Delays: retard
  • Discrepancy: écart entre le stock physique et le stock informatique
  • Expected demand: quantité de produits qu’on s’attendrait à sortir du stock pendant si la consommation du produit suivait les prévisions
  • Fork-lift-truck: chariot élévateur frontal
  • Handling costs: coûts de manutention
  • Inventory shortage: rupture de stock
  • Inventory write-off: diminution de la valeur économique des stocks causée par des pertes ou par obsolescence
  • Lead time: temps s’écoulant entre la réception d’une commande client et sa livraison
  • Net requirements: différence entre les besoins bruts et le stock disponible en tenant compte des livraisons attendues et du niveau de stock souhaité
  • Order backlog: ensemble des commandes clients reçues mais non encore livrées
  • Piggyback Traffic: transport combiné rail/route
  • Purchasing: le fait d’acheter
  • Rack: Rayonnage pour palettes, composé de plusieurs échelles et lisses délimitant les emplacements de stockage
  • Racking: superposition de conteneurs sur des wagons construits à cet effet
  • Shipping documents: documents d’envoi
  • Stacking: opération consistant à superposer des contenants
  • Stack Pallet: palette destinée à ne jamais quitter l'entrepôt
  • Supplier rating: évaluation des fournisseurs
  • Wave: type de préparation de commandes dans lequel plusieurs commandes sont préparées en même temps