Les achats à l’heure des droits de l’homme
Toute entreprise a la responsabilité de respecter les droits de l’homme, quel que soit l’endroit où elle opère. C’est ce qu’énoncent les «Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme» adoptés par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU en 2011. Depuis, une multitude de cadres volontaires et réglementaires ont vu le jour. Se conformer à ces nouvelles exigences passe inévitablement par des politiques d’achats et des relations fournisseurs renforcées.
Le respect des droits de l’homme
Afin d’assumer cette responsabilité, une entreprise se doit de mettre en place une procédure de diligence raisonnable. Le «Guide de l’OCDE sur le devoir de diligence pour une conduite responsable des entreprises» énonce six mesures clés. Il s’agit d’inscrire les droits de l’homme dans les politiques et les systèmes de gestion de l’entreprise, d’identifier et d’évaluer les risques d’impacts négatifs sur les droits de l’homme, voire de cesser les activités qui en sont à l’origine, de réparer les dommages causés, de faire un suivi des mesures mises en place et, finalement, de communiquer sur les mesures adoptées. De la gestion de risque, en somme, qui a la particularité de s’exercer de manière progressive et continue selon les moyens et la taille de l’entreprise, et en fonction du secteur d’activité dans lequel elle opère. Les PME ont donc elles aussi un devoir de diligence.
Evolution du cadre réglementaire
La Suisse figure parmi les premiers pays à s’être dotés d’un plan d’action national sur la mise en œuvre de ces principes directeurs. Non contraignant, il vise à promouvoir le respect des droits de l’homme au sein des entreprises domiciliées et/ou actives en Suisse. Cette démarche s’inscrit dans un écosystème de cadres et de réglementations de plus en plus dense: Dodd-Frank Act aux Etats-Unis (2010), Modern Slavery Act au Royaume Uni (2015) et en Australie (2018), Loi sur le devoir de vigilance en France (2017), en plus de la vingtaine de pays ayant publié leur plan d’action national.
D’autres pays pourraient bientôt se doter de législations comparables. Parmi eux l’Allemagne, la Finlande, le Canada et la Suisse, où les débats autour de l’initiative pour les entreprises multinationales et ses contre-projets pourraient bien donner lieu à une votation d’ici l’automne.
Saisir l’opportunité
Les pratiques contraires au respect des droits de l’homme sont de moins en moins tolérées et les entreprises suisses ne sont pas épargnées. Au-delà de la conformité légale, nous constatons qu’une entreprise qui engage un processus de diligence raisonnable verra un impact positif sur sa performance et sa stabilité économique. Parmi les effets positifs possibles, citons par exemple:
- Préservation de sa réputation: les risques liés à une détérioration de l’image ne doivent pas être sous-estimés, surtout à l’ère des réseaux sociaux. Glencore est un exemple.
- Réduction des coûts: notamment ceux liés aux éventuels litiges à venir sur la base des règlementations évoquées précédemment.
- Avantage concurrentiel: y compris dans le domaine des marchés publics, mais aussi vis-à-vis des investisseurs ou des clients. A titre d’exemple, ABB a refusé de soumissionner à un appel d’offre de construction de barrage au Moyen-Orient en raison de son impact sur l’environnement et les droits de l’homme, se démarquant ainsi de l’entreprise qui a obtenu le marché et qui a essuyé un échec financier.
- Gestion des risques opérationnels renforcés: grâce à une meilleure compréhension du marché et de ses sources d’approvisionnement stratégiques.
- Fidélité accrue des employés et gain de motivation: la «quête de sens» gagne de plus en plus d’employés qui placent l’éthique au cœur de leurs préoccupations.
Ainsi, ne pas s’approprier les droits de l’homme, c’est d’ores et déjà compromettre sa performance et sa crédibilité sur les marchés nationaux et mondiaux.
Les achats, un levier stratégique
L’évolution du cadre institutionnel et réglementaire rend la gestion du risque en termes de droits de l’homme de plus en plus présente dans la fonction des achats, et cela à deux niveaux. D’une part, il s’agit d’inciter les fournisseurs et sous-traitants à se conformer à ces nouvelles exigences. Cela veut dire:
- Intégrer le respect des droits de l’homme dans le code de conduite à destination des fournisseurs et dans les contrats clients.
- Cartographier les risques et mettre en place des procédures d’évaluation des partenaires commerciaux. A titre d’exemple, dans un souci de transparence maximale, Schindler a étendu aux droits de l’homme les critères de cartographie des risques de ses fournisseurs.
- Enseigner et sensibiliser, par exemple à l’occasion des conférences fournisseurs ou à l’aide d’ateliers de formation.
- Suivre et accompagner les partenaires commerciaux dans leurs efforts. Si cela passe souvent par des audits sociaux, il s’agit d’aller au-delà, notamment en établissant un dialogue continu quant aux aspects à améliorer. Cela est vrai pour les grandes, mais aussi pour les plus petites entreprises, même si celles-ci disposent de ressources limitées. Inovacomm en est une bonne illustration. Au fil des années, cette PME a réussi à mettre en place un système efficace de suivi des conditions de travail dans les usines auprès desquelles elle s’approvisionne, et ce sur la base d’une relation de confiance avec ses fournisseurs.
D’autre part, c’est justement à travers ses pratiques d’achat qu’une entreprise peut contribuer à des incidences négatives sur les droits de l’homme. Par exemple, modifier les exigences de production sans adapter les prix et les délais, c’est mettre les fournisseurs dans une impasse, ne leur donnant souvent pas d’autre choix que d’enfreindre les lois du travail afin de répondre au cahier des charges. L’acheteur doit donc agir de manière informée. Développer une compréhension des enjeux des droits de l’homme à l’intérieur de l’entreprise, et notamment dans le département des achats, est primordial.
Un virage inévitable
La volonté de changement vers un modèle de société plus respectueux de la planète et de l’humain se fait chaque jour plus palpable. Prendre le virage de ce changement au sein de l’entreprise, c’est notamment arriver à engager un dialogue «gagnant-gagnant» entre les acteurs de la chaîne de valeur. Les pratiques d’achat en sont donc un vecteur clé.
Sarah Dekkiche
Directeur conseil auprès de twentyfifty GmbH, société de conseil en gestion et en droits de l’homme, Sarah Dekkiche accompagne les entreprises en Suisse et à l’international dans leurs stratégies de conduite responsables et de diligence raisonnable en droits de l’homme. Dans le cadre de ses fonctions, elle est également amenée à travailler avec le SECO et le DFAE dans la mise en place du Plan d’Action National Suisse «Entreprises et droits de l’homme».