La banane
Comment s’appelle celui qui, chez votre concurrent, achète la même chose que vous? J’ai beau poser la question systématiquement, moins de 0,3 % des acheteurs qui ont croisé ma route ont été capables d’y répondre. Etrange, non? Car chez les vendeurs, c’est l’excès inverse: rares sont ceux qui ne connaissent pas sous toutes les cou-tures leur ennemi direct.
Pourquoi? Certainement parce que le vendeur a conscience en temps réel de ses succès ou de ses erreurs. Ses contre-performances sont immédiatement sanctionnées, et la jalousie envers son rival est constamment aiguisée.
Ce n’est malheureusement pas le cas pour nous, acheteurs. Nos réussites tout comme nos échecs sont dilués à la fois dans la masse et dans le temps. Qui plus est, tout résultat obtenu reste très relatif: comment savoir si 10% de mieux que la dernière fois est un résultat exceptionnel ou au contraire dérisoire? A contrario, limiter ou retarder une hausse peut déjà constituer une victoire stratégique majeure.
Au final, nous nageons constamment dans le flou, au risque de porter notre combativité sur d’autres terrains où les victoires sont plus nettes. A force, nous nous résignons à enchaîner les batailles, sans moyen de savoir si cela permettra de gagner la guerre.
Puisque cette rivalité n’est jamais assez vive entre acheteurs, mieux vaut se donner les moyens de l’aiguillonner régulièrement. C’est le premier bénéfice d’une formation: prendre la mesure du décalage entre mon quotidien et celui de mes confrères, souffler sur les braises de la frustration et repartir animé du feu sacré de la compétition.
Repartir avec quelques outils aussi, bien évidemment. Mais des outils aussi ineptes que vains si l’on ignore quel dessein ils vont servir. «Si vous mettez des bananes et de l’argent devant un singe, il choisira les bananes», observait Jack Ma.
Repartir enfin avec un nouvel éventail de pistes à explorer. Parce que vivre une (trans-)formation implique nécessairement de décristalliser ses habitudes et d’ouvrir un espace de plasticité, de perméabilité accrue au changement. Que d’opportunités concentrées dans ces journées en apesanteur!
Ou encore, simplement pour le plaisir, pour prendre une dose de motivation, regonfler l’enthousiasme. Et repartir, avec la banane.
Aymeric Duprez
Le cofondateur d’ADXL se consacre à obtenir mieux des fournisseurs, comme acheteur mercenaire au service des PME et comme formateur achats, pour procure.ch notamment. Aymeric Duprez cultive une vision pragmatique, exigeante et chrétienne de la relation commerciale, dans une dynamique compétitive pour amener l’acheteur à «acheter mieux que son concurrent!».