Comment mettre en œuvre l’économie circulaire
La Suisse consomme d’énormes quantités de matériaux chaque année: environ 87 millions de tonnes de matières neuves et quelque 15 millions de tonnes de matières réintroduites dans l’économie par le biais du recyclage.
Cette consommation élevée nuit gravement à l’environnement, en particulier à l’étranger, où sont extraites et traitées une grande partie des matières premières. Si nous sommes parvenus, ces vingt dernières années, à améliorer l’efficience des matériaux, les calculs de la Confédération révèlent néanmoins que le niveau actuel de la charge environnementale liée à la consommation doit être réduit de deux tiers au moins afin d’atteindre un seuil soutenable pour la planète. Les émissions de gaz à effet de serre doivent même être divisées par 20. Un objectif qui ne peut être atteint qu’en «fermant» les cycles de vie des matériaux et en utilisant les produits de manière durable.
Bien plus que du recyclage
La transformation d’une économie linéaire en une économie circulaire (EC) passe par des processus et des modes de pensée entièrement nouveaux.
L’EC va beaucoup plus loin que le recyclage: elle prend en compte toutes les étapes de la chaîne de valeur – de l’extraction des matières premières à la distribution, au commerce, à l’utilisation, à la réparation et au retraitement, en passant par la conception et la production.
A la différence du recyclage traditionnel, les matériaux et produits sont utilisés plusieurs fois au même niveau de qualité et la valeur ajoutée au cours de la fabrication (énergie, matières premières, travail) se conserve sur une longue période. Il en résulte une moindre pression sur l’environnement; les ressources naturelles comme les sols, l’air et l’eau sont préservées. De même, les émissions de gaz à effet de serre diminuent en raison de l’économie d’énergie – sachant qu’une grande partie cette énergie est d’origine fossile.
Intérêt croissant pour l’économie circulaire et la protection du climat
L’intérêt suscité par les produits et services circulaires est en hausse constante. La crise climatique, en particulier, stimule la demande: la nouvelle loi fédérale sur le climat et l’innovation a entériné l’objectif de «zéro émission nette d’ici 2050».
Toutes les entreprises devront atteindre la neutralité carbone en 2050 au plus tard. En raison de son rôle de modèle, l’administration fédérale centrale devra remplir cet objectif dès 2040.
Les émissions indirectes causées en amont par des tiers (émissions de Scope 3) seront aussi prises en compte. Les entreprises également seront de plus en plus tenues de contrôler et de décarboner leurs chaînes d’approvisionnement, les réglementations se multipliant au niveau mondial (par exemple CSRD, TCFD).
La majeure partie des émissions d’une entreprise provient des chaînes d’approvisionnement. La circularité permet de réduire sensiblement ces émissions «achetées».
Un guide qui fournit des outils concrets
Pour de nombreuses organisations, l’économie circulaire reste toutefois un sujet méconnu, qui pose de multiples questions: comme se définit un «produit circulaire» ou un «modèle d’affaire circulaire»? Sur quels leviers du processus d’achat faut-il agir? Comment intégrer au mieux les critères de l’EC dans un appel d’offres?
La Confédération vient de publier un «Guide pour des achats circulaires» afin de dissiper les incertitudes et d’encourager la mise en œuvre. Le document présente une introduction différenciée à cette thématique et offre des aides concrètes concernant les achats au quotidien, ainsi qu’un certain nombre de critères d’appels d’offres.
L’un des principaux défis des acheteurs réside dans l’offre encore réduite de produits circulaires. Nombreux sont les fournisseurs qui craignent une chute de leurs bénéfices s’ils renoncent à produire ou à vendre des biens à courte durée de vie au profit de biens durables.
De nombreuses entreprises pionnières de l’EC ont pourtant montré que les produits à longue durée de vie, qui présentent une modularité et une flexibilité d’utilisation accrue, ne diminuent en rien les profits. Au contraire, il est ainsi possible de créer de nouveaux domaines d’activités (par exemple planification, rafraîchissement, réparation, transformation) et de développer de nouveaux modèles (par exemple location plutôt que vente).
Les services d’achats et leurs entreprises en profitent également: si l’on considère l’ensemble de leur cycle de vie (Total Cost of Ownership), les produits et services circulaires reviennent souvent moins chers que les solutions traditionnelles.
Autres avantages: une plus grande stabilité des prix et une sécurité de livraison. En effet, les fournisseurs offrant des solutions durables et économes en matières premières s’avèrent beaucoup moins exposés aux fluctuations de prix et aux pénuries de matières et d’énergie.
Un effet de levier important
Grâce aux volumes de la demande, les acheteurs disposent d’un levier important pour faire avancer le développement de solutions circulaires. L’intégration de critères d’EC dans les marchés publics incite les fournisseurs à procéder aux changements nécessaires dans leurs entreprises.
L’important est que les acheteurs communiquent leurs objectifs avec précision, par exemple en définissant les preuves à fournir et les grilles d’évaluation des critères en matière d’EC. Dans le domaine du mobilier par exemple, la «durée de vie», la «modularité» et la «reprise» des meubles pourraient se traduire comme critères d’évaluation fondamentaux.
Préparation du marché à l’économie circulaire
Afin de préparer le marché à cette nouvelle orientation de l’approvisionnement vers l’EC, il est recommandé d’annoncer l’appel d’offres suffisamment tôt ou de lancer une consultation publique du marché en amont (par exemple par le biais d’une RFI, Request for Information).
De même, l’organisation d’une table-ronde industrielle sur l’EC ou la participation à ce type de rencontres permettent de découvrir les innovations et de faire connaître ses propres ambitions.
La volonté d’une direction d’orienter son organisation vers la circularité ouvre de nouvelles opportunités professionnelles aux responsables des achats: de simples prestataires de services, ils acquièrent le statut de centres de compétence.
Les experts de l’EC collaborent avec les industriels pour trouver des solutions innovantes, ils sensibilisent les utilisateurs de leur organisation et forment des collaborateurs. Leur département devient ainsi une plaque tournante essentielle au sein de l’entreprise.
Salome Schori
Salome Schori est la responsable du service des achats publics écologiques au sein du département Economie et Innovation de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) en Suisse. Dans ce rôle, elle s’engage pour la promotion et la mise en œuvre de pratiques d’achat respectueuses de l’environnement au sein de l’administration publique.