Perspectives pour les acheteurs #5: juste un sprint
Durant le deuxième trimestre 2020, le produit intérieur brut (PIB) de la Suisse a chuté dans des proportions jamais vues dans l’histoire.
Avec la levée des principales mesures Covid-19 et un risque de contagion jugé faible, l’économie s’est immédiatement ressaisie. L’indice suisse des directeurs d’achat (PMI) pour les services et son pendant pour l’industrie ont remonté au-dessus du seuil de croissance et indiquent actuellement une reprise en forme de V.
De même, les chiffres d’affaires du commerce de détail retrouvaient dès août des valeurs supérieures d’environ dix pourcent à celles d’avant la crise. La plus forte croissance était enregistrée ici dans les secteurs «Maison», «Loisirs» et «Jardin», alors que les domaines «Habillement et chaussures» continuaient d’être dans le rouge.
Effet de rattrapage
L’actuelle poussée de la consommation est aussi stimulée par l’épargne – environ huit milliards de francs – accumulée par une grande part des ménages durant le lockdown.
Selon nos estimations, environ deux tiers des économies réalisées durant cette période d’offre limitée pourraient être dépensés dans les mois qui viennent. Par ailleurs, moins d’achats étaient drainés vers l’étranger lorsque les frontières étaient fermées. Au total, cela donne une demande supplémentaire d’environ deux milliards de francs. Des prix à la baisse et la volonté de rattraper les occasions manquées incitent à consommer davantage.
Effet inhibiteur de l’emploi
Mais les effets de rattrapage s’estompent à vue d’œil et la consommation pourrait bientôt perdre de son élan. La situation sur le marché du travail est en général déterminante pour la consommation. L’immigration, par exemple, qui contribue en moyenne à plus d’un quart de la croissance de la consommation, est, grâce à l’accord sur la libre circulation des personnes, étroitement liée à la demande de main-d’œuvre. Par ailleurs, les craintes qu’il pourrait avoir pour son emploi agit fortement sur l’état d’âme du consommateur, de même qu’il y a un lien étroit, du moins théoriquement, entre l’évolution de l’emploi et l’évolution des salaires.
La situation sur le marché de l’emploi pourrait rester tendue bien au-delà de la fin de l’année. Malgré le chômage partiel, le nombre de sans-emplois augmentera ces prochains mois. Nous estimons que le taux actuel de 3,2% passera à environ 4,0% avant la mi-2021 (moyenne 2020: 3,2%; 2021: 3,9%). L’expérience montre qu’une telle hausse freinera la consommation, sans toutefois la paralyser. Le solde migratoire pourrait continuer à diminuer entretemps, ce qui limitera d’autant la croissance de la consommation l’année prochaine.
Maigres salaires
On peut s’attendre aussi, ces prochains mois, à ce que les entreprises cherchent surtout à renouer avec les bénéfices. Ce qui se traduira pour l’année à venir par une réserve certaine en termes d’embauche, une augmentation du chômage (déjà mentionnée) et des hausses de salaires plutôt marginales. Nous escomptons donc en 2021 un quasi gel des salaires nominaux (+0,1%). Et comme, parallèlement, le niveau des prix ne devrait pas continuer de baisser (inflation en 2021: +0,3%, après –0,7% en 2020), le pouvoir d’achat des salaires risque de diminuer légèrement l’année prochaine.
Le fait que le Coronavirus occupera encore longtemps l’économie atténuera de surcroît le rebond de la croissance. Certes, nous ne croyons pas à un nouveau lockdown généralisé et un progrès sur le plan médical n’est pas exclu; toutefois, il faut s’attendre, à l’échelle régionale, à de sévères limitations temporaires.
Face à ce manque à gagner des entreprises, le climat d’investissement ne peut que rester frileux. Mais les investissements en équipements et en machines pourraient profiter quelque peu de la reprise de la conjoncture industrielle. A ce jour, les investissements dans l’industrie pharmaceutique et chimique, et ceux dans l’infrastructure informatique, ont tempéré la chute du volume d’investissement observé partout ailleurs. Durant le premier semestre 2020, les investissements dans la construction étaient en retrait, malgré des taux d’intérêt bas et des chantiers souvent en cours. L’incertitude généralisée agissait ici comme un frein et le potentiel de reprise reste limité, vu le taux de vacance croissant dans le segment des logements locatifs.
Pharma soutient l’export
La chute des exportations de marchandises est pour l’heure amortie
par le poids considérable du secteur pharmaceutique et chimique dans
nos exportations (50 pourcent) et par sa faible exposition aux variations conjoncturelles. Tout semble donc indiquer que ce secteur continuera de soutenir fermement l’évolution du commerce extérieur. En attendant, les branches cycliques comme l’industrie des machines, des équipements électriques et des métaux (MEM) ou l’industrie horlogère ont passé le creux de la vague. Nous estimons que leur rétablissement devrait continuer.
Pessimisme pas de rigueur
Après la chute historique du premier semestre, la reprise est aujourd’hui extrêmement rapide, particulièrement dans les secteurs de l’économie intérieure orientés vers la consommation locale. Mais la suite de la reprise conjoncturelle aura un tempo plus lent. En conséquence, l’évolution du PIB en 2020 et 2021 pourrait bien ressembler à un V incliné. Par rapport à d’autres instituts, nous restons optimistes et misons pour cette année sur une baisse de quatre pourcent du PIB, plutôt modérée donc dans le contexte international. Par ailleurs, nous continuons d’estimer que la reprise ne sera pas assez vigoureuse en 2021 pour que le PIB revienne avant la fin de l’année 2021 à son niveau d’avant la crise (pronostics 2021: +3,5%).
Claude Maurer
L’ancien sportif professionnel (il a représenté la Suisse en 49er skiff aux Jeux olympiques de Sydney) dirige au Credit Suisse une équipe d’économistes chargée d’analyser et de prédire la conjoncture et la politique monétaire suisses.